Ce mardi 5 mars, le ministre de la Transition Écologique, Christophe Béchu, a présenté une proposition de loi portée par la députée Anne-Cécile Violland, visant à encadrer rigoureusement le secteur de la fast fashion. Les mesures proposées incluent l’instauration d’un système de bonus-malus pour rééquilibrer les prix entre les produits ultra fast fashion et les autres, l’application de restrictions plus sévères sur la publicité de ces articles, et l’obligation d’un affichage environnemental dès 2025 pour informer les consommateurs de l’impact écologique de leurs achats. Les premiers visés : les géants de la mode en ligne tels que SheIn et Temu. L’occasion pour nous de se pencher sur cette industrie problématique et sur la réalité de la fin de vie de nos vêtements, une thématique intrinsèquement liée à notre démarche d’Écologie industrielle et territoriale.

 

 

"FAST FASHION" : DE QUOI PARLE-T-ON ?

Le modèle de la fast fashion, littéralement « mode rapide » en anglais, se caractérise par une production massive et standardisée, une disponibilité quasi immédiate des produits, des prix extrêmement bas et une incertitude élevée concernant la demande. Le modèle économique de l’entreprise SheIn, particulièrement ciblée par le nouveau projet de loi, est qualifié d’ultra fast fashion, repoussant les limites de ce modèle dans une version paroxystique en produisant des vêtements encore plus vite, plus fréquemment et à des prix encore plus abordables, attirant une clientèle principalement composée de jeunes de la génération Z (nés après 1995). 

Depuis les années 1980, l’industrie de la mode est marquée par l’émergence de marques internationales telles que H&M et Zara et la création d’une culture du vêtement jetable. Mais si l’engouement autour de Shein est particulièrement problématique, c’est aussi car l’entreprise est publiquement pointée du doigt, accusée de faire travailler les prisonniers Ouïghours, minorité musulmane persécutée et exploitée en Chine; parce qu’elle ne respecte pas les normes écologiques, et utilise des produits chimiques non réglementés et dangereux (interdit, en principe, sur le sol européen par la loi REACH) dans la composition de 15% de ses produits ;  et enfin, est responsable en partie de la mort du prêt-à-porter français qui ne fait pas le poids de la concurrence, provoquant d’importantes pertes d’emploi. Un bien triste portrait pour l’entreprise qui, pourtant, se porte au mieux. En 2022, l’entreprise chinoise représente un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros, presque autant que l’ensemble du groupe Inditex, leader mondial du secteur textile-habillement avec des marques telles que Zara, Massimo Dutti et Stradivarius, dont le chiffre d’affaires s’est élevé à 32,6 milliards d’euros. Une tendance qui va à contre-courant total du consensus scientifique sur la nécessité d’une transition écologique urgente.

Conséquences environnementales et sociales : faisons le bilan.

Derrière l’appât des nouveautés incessantes (SheIn publie des milliers de nouveaux produits chaque jour, et une marque comme Zara a plus d’une centaine de nouvelles collections par an !) et des prix tout doux se cache une réalité bien sombre, teintée de conséquences environnementales désastreuses et d’un coût humain inacceptable. L’industrie de la mode est en effet l’une des plus polluantes du monde. Son empreinte écologique est gigantesque, depuis la culture des matières premières jusqu’aux montagnes de déchets qu’elle génère. Par ailleurs, elle repose sur une logique impitoyable d’exploitation et de sous-paiement des travailleurs, souvent dans des conditions de travail déplorables.

Un fardeau environnemental

L’industrie de la mode est en effeLe coton, pilier de cette production, se montre particulièrement gourmand en eau et pesticides, mettant en péril la biodiversité et la santé des écosystèmes.  On estime que 2 700 litres d’eau sont nécessaires pour produire un seul t-shirt en coton ; et que 25% de l’utilisation mondiale de pesticides sont consacrés à la culture du coton. De son côté, le polyester, fleuron des fibres synthétiques, accentue notre dépendance aux énergies fossiles tout en contribuant de manière significative aux émissions de gaz à effet de serre. Côté confection, la teinture et le traitement des textiles représentent environ 17 à 20% de la pollution industrielle de l’eau, tout cela sans compter le voyage de ces vêtements à travers le globe, un périple énergivore qui ne fait qu’ajouter à leur bilan carbone déjà lourd. Les microfibres plastiques, échappées lors du lavage, viennent encombrer nos océans, mettant en péril la faune marine et l’équilibre des écosystèmes. Et que dire de la fin de vie de ces produits de la fast fashion ? La plupart finissent en décharge, où ils libèrent du méthane, ou sont incinérés, produisant ainsi d’autres polluants nocifs.

Un coût humain inacceptable

En plus du fardeau environnemental, le coût social de cette industrie est alarmant. La quête incessante du moindre coût pousse les entreprises à délocaliser leur production dans des pays où les salaires sont dérisoires et les réglementations laxistes. Le modèle économique de la fast fashion repose sur une logique impitoyable d’exploitation et de sous-paiement des travailleurs (pour ne pas parler d’esclavage moderne), souvent dans des conditions de travail déplorables. Les histoires d’ateliers aux pratiques douteuses, où les droits les plus fondamentaux sont bafoués, sont courants. Le drame du Rana Plaza (Bangladesh, 2013) qui a coûté la vie à plus de 1 100 personnes, reste un triste rappel des risques encourus par les travailleurs de ce secteur. Enfin, les femmes constituent la majorité de la main-d’œuvre dans cette industrie et sont donc particulièrement vulnérables face à ces abus, subissant violences et harcèlements sans voix pour se défendre. 

Mais pour une vision exhaustive des conséquences de l’industrie de la fast-fashion, une question fondamentale, trop souvent oubliée, doit être posée : 

“ QUE DEVIENNENT NOS VÊTEMENTS QUAND ON NE LES PORTE PLUS ? ”

Grâce à la législation sur la Responsabilité Élargie du Producteur (REP), un cadre législatif existe pour encourager les marques à assumer la responsabilité du cycle de vie de leurs produits. Cette loi oblige, pour les filières concernées (dont celle du textile) celui qui fabrique, qui distribue un produit ou qui importe un produit à prendre en charge sa fin de vie. En théorie, cela devrait stimuler le recyclage et la réduction des déchets, incitant les entreprises à intégrer des pratiques durables dès la conception de leurs produits et à contribuer au financement des systèmes de gestion des déchets. Toutefois, la mise en pratique de la REP révèle des défis majeurs, notamment le manque de transparence, une cascade de sous traitances, et le manque d’efficacité dans le tri des vêtements pour leur recyclage ou réutilisation.

En 2020 en France, 39 % des textiles mis sur le marché sont collectés. Le reste n’a pas été trié (et a fini sa vie dans la poubelle des déchets ordinaires), ou n’a pas été jeté (revendu entre particuliers sur des plateformes comme Vinted ou tout simplement encore utilisé, donné à un proche, ou oublié au fond d’un placard !).

Parmi les vêtements collectés :

  • 3% sont effectivement réutilisés en France (revendus en magasins de seconde main et boutiques solidaires ou directement redistribués à des personnes dans le besoin)
  • 10% sont brûlés
  • 33% sont recyclés pour un usage différent (isolants pour maisons par exemple)
  • 54% sont exportés.

 

Le recyclage, c’est surestimé !

La notion de recyclage des textiles est souvent perçue comme une solution miracle à la problématique des déchets de la mode. Pourtant, la réalité est complexe.. Bien que la production de vêtements ait doublé entre 2000 et 2015, seulement 1% des textiles sont effectivement recyclés en nouveaux vêtements. Une grande partie termine sa vie en décharge ou incinérée, soulignant l’ampleur du gaspillage et des pollutions associées. Et oui, car uniquement les textiles dits mono-matières (100 % coton, 100 % polyester, etc.) peuvent être défibrés pour créer des fils qui permettent la fabrication de nouveaux vêtements. Dans une grande majorité des cas, les textiles dits recyclés sont en réalité orientés vers de nouvelles filières industrielles (chiffons, isolants pour les bâtiments, les véhicules ou rembourrage pour coussins et canapés). 

Le recyclage, loin d’être une solution efficace, doit intervenir en toute fin de vie du vêtement. On lui préfère la réutilisation.

La réutilisation, OUI ! Mais…

Contrairement au recyclage, la réutilisation des textiles présente un potentiel considérable pour réduire l’empreinte environnementale de la mode. En France, le taux de réutilisation des textiles diminue, menaçant les initiatives sociales dépendant de la collecte et du tri des donations. Les causes ? Des vêtements de mauvaise qualité, rapidement obsolètes et difficilement réparables, sans même parler des quantités colossales d’invendus. Ainsi, ces vêtements ne sont pas assez bons pour être revendus en boutique de seconde main… mais le sont étrangement assez pour être proposés sur les marchés africains ! Pas moins de 95% de la réutilisation effective des vêtements collectés sont ainsi exportés, et viennent inonder les marchés du Kenya et du Ghana, notamment, ou polluer des étendus immenses d’Amérique du Sud, en témoigne le triste paysage que présente le désert d’Atacama au Chili. Cette pratique soulève des questions éthiques, en plus du coût environnemental qu’elle implique en termes de transport. D’une part, elle contribue à l’accumulation de déchets textiles dans des pays qui manquent d’infrastructures adéquates pour les gérer. D’autre part, cela peut avoir un impact économique négatif sur les industries textiles locales, exacerbant les problèmes de surconsommation et de qualité médiocre des produits disponibles sur ces marchés, la majorité n’étant même plus portable et finissant jetée dans des décharges à ciel ouvert.

La réutilisation est donc bel et bien une solution à privilégier, lorsqu’elle se fait dans les bonnes conditions. Les vêtements doivent respecter certains standards de qualité, de manière à ce qu’ils restent décents pour leurs prochains acquéreurs, ou à minima réparables. Lorsque la réutilisation n’est plus possible, le recyclage est également une solution, à condition que la conception des vêtements soit repensée, privilégiant les mono-matières et excluant le plastique ! 

Mais, même dans un monde idéal où les conditions de recyclage et de réutilisation seraient optimales, cela ne suffirait pas à résoudre la question de la quantité, qui reste primordiale. Nous sommes convaincus que c’est en amont qu’une véritable transition doit se jouer : par le changement de notre rapport à la consommation et l’accumulation (la sobriété), par une véritable implication des institutions (la régulation) et, de fait, un travail profond de transparence de la part des marques…ces solutions seront l’objet de notre prochain article !

En attendant, on salue le nouveau projet de loi de régulation de la fast fashion, qui devrait être examiné dans l’hémicycle le 14 mars, en espérant qu’il aboutisse et qu’il ne se contentent pas de cibler les géants chinois, car ceux-là sont loin d’être les seuls à participer à ce sombre bilan. Affaire à suivre…